Dans la vie, il faut choisir ses batailles. C’est du moins ce qu’on dit. Mais parfois, c’est la bataille qui vous choisit. Une cause qui vous tient particulièrement à cœur vous demande de vous lever, de prendre les armes et de vous battre. Pour elle, pour les autres, pour les générations à venir. Et quoi de mieux que des faits, des arguments et les bons mots pour le dire, pour aller au batte.
La nécessité, la nécessité, la nécessité
Les agents d’immeuble répètent sans cesse « location, location, location », moi je dis « la nécessité, la nécessité, la nécessité ». Car d’aussi loin que je me rappelle, je n’ai jamais rêvé d’écrire ou de publier quoi que ce soit, outre mes p’tits travaux d’école bien entendu, et un essai dans mon domaine d’expertise. Tout ce qui m’intéressait, moi, dans la vie, c’était de lire et de danser - « Laissez lire, et laissez danser; ces deux amusements ne feront jamais de mal au monde », disait Voltaire. J’aime aussi Voltairine de Cleyre, mais ça, c’est une autre affaire - étudier beaucoup donc, faire mon doc et puis éventuellement mon post-doc, afin d'enseigner à l’université, mon rêve de gamine.
Pendant des années, et même des décennies, c’est ce que j’ai fait tous les jours, mis ardemment en pratique. J’ai dansé, dansé et dansé encore, enseigné la danse aussi (des heures et des heures de plaisir), martelé mes pieds sur des planchers, tant sur scène que dans nombreux studios (on appelle ça du flamenco), lu encore et encore, tout cela en étudiant évidemment – au total, six belles années universitaires… pour absolument rien, mais là encore, je m’éloigne.
C’est l’américanisation de ma profession par un boys club de ce monde, en 2012, en pleine grève étudiante et prolifération de carrés rouges, qui m’a mis le feu aux poudres. C’est par nécessité intérieure, comme disait Kandinsky, mais externe aussi j’ajouterais, que j’ai tout arrêté, mis fin à ce long parcours universitaire, et me suis mise, en lieu et place, à varger sur un clavier.
Moi qui avais toujours développé des phrases corporelles, des gestes et des gestuels, des séquences de mouvements, des routines et des chorégraphies dans la plus belle langue qui soit, le langage non-verbal, voilà qu’il me fallait maintenant mettre des mots sur mes arguments, dans le langage courant, le verbal, et composer de « vraies » phrases, des paragraphes et des textes. Misère… « L’enfer sur Terre » - j’exagère à peine - quand tu ne sais pas écrire un traître mot, quand t’as envie de danser ta colère, pas de la mettre en mots, quand t’as jamais désiré ce médium qui t’oblige à tout mettre sur une feuille blanche, même virtuelle. But you know, when the shit hits the fan…
Alors je me suis mise à piocher sur un clavier, comme une vraie cinglée, par pure nécessité, avec toute la force du désespoir. Pour me battre, pour lutter, pour moi, pour les autres, pour le futur de ma profession, mais surtout, pour mettre en lumière la vérité. J’ai frappé sur des claviers ces dernières années peut-être autant que tous ces golpes, ces "tacons" et autres desplantes exécutés sur des planchers. C’est la nécessité qui fait ça. La douleur aussi. C’est viscéral…
Ayoye ! Tu m’fais mal à mon cœur d’animal...
Et aujourd’hui, étrangement, je ne peux plus m’arrêter. L’énergie qui animait autrefois mes pieds s’est propulsée dans le bout de mes doigts et me dicte quoi écrire. Exactement comme lorsque je dansais, lorsque j’improvisais. Tu te laisses aller, portée par la musique. Là, c’est le corps du texte qui parle, quelque chose de plus fort que soi qui s’empare de vous et t’amène là où tu voulais aller… ou pas du tout, là où tu ne l'avais jamais imaginé.
C’est la force de la nécessité, imbriquée à celle du désespoir, qui me mènent par le bout du nez depuis des années. Même quand t’es à boutte, même quand tu tiens à peine deboutte, qu’importe le langage.
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« Moi, j’écris pour combattre le sentiment d’impuissance qui m’étreint jour après jour. J’écris pour garder le moral. J’écris pour me venger des salopards qui nous racontent des peurs. J’écris pour lutter contre la bêtise et le mensonge médiatisé. (…) Quand j’écris, c’est pour partager mon écœurement. J’écris pour ne pas étouffer dans mes propres vomissures. J’écris pour me libérer de ma haine dévorante. J’écris pour respirer un peu d’air pur dans toute cette marde. » - Pierre Falardeau, dans Les bœufs sont lents mais la terre est patiente. Olé!